Le modèle du hanneton fut créé en 1857. Tout comme les autres modèles réalisés par Louis Auzoux, il était destiné à devenir un support visuel pour seconder un discours pédagogique et scientifique sur le vivant et sur son fonctionnement. Au moment où ce modèle fut créé, la biologie, discipline encore nouvelle, connaissait des bouleversements importants. Un événement majeur de la première moitié du XIX^e siècle fut le développement de l’anatomie comparée, dont la place au cœur des débats scientifiques de l’époque se cristallisa dans la controverse opposant, en 1830, Cuvier et Geoffroy Saint Hilaire. Rappelons que l’anatomie comparée est l’étude et la comparaison des similitudes ou des divergences d’organisation entre les différents animaux. Les développements ultérieurs de la discipline furent également à la source des conceptions évolutionnistes qui ébranlèrent la science du vivant au cours de la seconde moitié du siècle avec la publication en 1859 de l’Origine des espèces par Darwin ¹ . L’enseignement de cette discipline fut l’une des préoccupations du docteur Auzoux. Il dispensait des cours sur cette matière à un public non spécialiste ² et il en donna une transcription avec ses Leçons élémentaires d’anatomie et de physiologie humaine et comparée ³ . Il employait bien évidemment ses propres modèles au cours de ces séances : celles-ci se déroulaient dans son appartement parisien, ou à Saint-Aubin-d’Ecrosville. En tant que support à un discours sur le vivant, le modèle du hanneton semble porter la trace des conceptions scientifiques de l’époque qui l’a vu naître.

C’est au XVII^e siècle que sont jetées les bases d’une nouvelle conception de la science qui « souhaite expliquer de manière rationnelle l’ordre du monde et met l’accent sur la recherche de lois simples, permettant d’unifier un grand nombre de phénomènes » ⁴ . C’est dans ce contexte que Descartes propose d’expliquer le vivant selon une approche mécaniste. Selon lui, l’animal est une « machine qui se remue de soi-même » ⁵ . Comme dans une machine, la transmission du mouvement n’est déterminée que par l’articulation des pièces et des rouages qui la composent. L’anatomie, dans cette perspective, doit permettre de mettre en évidence les « rouages » de ces machines. Elle n’a plus seulement une vocation descriptive, mais doit faire état des relations entre les différentes parties de ce qui sera plus tard nommé « organisme », et des rapports qu’entretiennent les êtres vivants les uns avec les autres. Bien que le mécanisme strict perde de l’importance dès la fin du XVIII^e siècle, avec un nouvel essor du vitalisme qui postule un principe vital dont dépendraient les actions organiques ⁶ — son impact reste perceptible dans la pensée scientifique et dans l’œuvre d’Auzoux. D’ailleurs, celui-ci n’hésite pas à employer le terme de « machine animale » lorsqu’il s’agit de faire état de la structure des êtres vivants ⁷ . De même, le modèle du hanneton semble assez bien refléter l’influence encore sensible de cette théorie : il est composé d’organes amovibles, s’emboîtant les uns dans les autres, à la manière d’un petit automate, dont on pourrait extraire les pièces, à la différence que rien ne permet au modèle du hanneton de se mettre en mouvement.

L’anatomie comparée, telle qu’elle s’est développée à la fin du XVIII^e siècle et au début du XIX^e siècle pose l’organisation des êtres vivants comme principe permettant leur comparaison et donc, leur classification. Ce principe organisationnel est particulièrement remarquable dans le modèle d’Auzoux, à travers les numéros qui en ponctuent toutes les surfaces. Ces numéros renvoient l’observateur au tableau synoptique qui accompagne le modèle et renseigne sur le détail anatomique associé à chacun d’eux. Le tableau synoptique du hanneton fournit en outre plusieurs informations en ce qui concerne sa réalisation ainsi que sa destination au sein de la collection d’Auzoux. Le hanneton ou Melolontha Vulgaris est pris comme « type DES INSECTES à l’état parfait » ⁸ . C’est-à-dire qu’il est l’espèce considérée comme représentative de sa classe et qu’il est donc susceptible d’être comparé avec d’autres « types ». Auzoux réalisa ainsi un dindon comme type des volatiles, ou encore un serpent comme type des reptiles. Pour la réalisation du modèle du hanneton, il s’est fondé sur un ouvrage du naturaliste français Hercule Straus-Durckheim, paru en 1828 et intitulé Dissertation sur le hanneton. Dédié à Cuvier l’ouvrage se proposait de faire une étude anatomique descriptive du hanneton pris cette fois comme exemple des coléoptères. Straus-Durckheim consacra un travail d’ampleur à l’anatomie comparée des « articulés » qui n’avaient, selon lui, jusqu’alors fait l’objet que d’études partielles. En cause, « les organes, […] presque microscopiques, [et qui] exigent, pour être disséqués, une grande sûreté dans la main » ⁹ . À son étude descriptive et comparée, l’auteur ajouta des planches anatomiques composées de figures grossies qui venaient illustrer le texte, le rendant plus intelligible. Auzoux s’est en partie fondé sur ces planches anatomiques pour en proposer une retranscription en trois dimensions. Ainsi, le modèle d’Auzoux présente deux avantages : par le relief, il autorise l’étude du hanneton comme s’il s’agissait d’une dissection ; par le fort grossissement des proportions — le modèle est grossi douze fois par rapport à l’insecte vivant — , il permet de rendre visibles des organes qui étaient jusque-là difficilement observables.
Si le modèle du hanneton peut être vu à travers l’illustration qu’il donne des conceptions scientifiques de son temps, il possède également des qualités esthétiques indéniables. En témoignent le travail de la mise en couleur par superposition de glacis et celui des textures — employant la baudruche pour rendre le caractère fin et translucide des ailes, recouvrant certaines parties de la surface du hanneton par des petits poils. Tous ces efforts répondent à la recherche d’une représentation naturaliste que vient habilement bousculer l’adjonction de la numérotation, de la nomenclature et des petits crochets très travaillés. L’harmonie générale qui se dégage de la pièce achevée témoigne ainsi d’un évident parti pris esthétique.